Pendant mon année de volontariat au Vietnam, la paroisse où je me trouvais pour la Semaine Sainte avait une manière haute en couleur de vivre le Vendredi Saint : pendant l’office du soir, dans le chœur de l’Eglise, un Christ articulé était en croix et une dizaine de paroissiens venaient lui baiser les pieds au nom de toute la communauté. A la fin de la célébration, le Christ était descendu de la croix, nettoyé par le prêtre, mis dans un cercueil puis porté en procession jusque dans une grotte. Toute la nuit, les paroissiens se relayaient pour se recueillir auprès de lui au tombeau. C’est la première fois que j’ai compris en mon cœur et mon corps que Jésus était véritablement mort et ce qu’il avait souffert. Jusque-là, je le savais par ma tête mais cette vérité n’était pas descendue dans mon cœur.
En théologie, ce type de célébration est appelé un mémorial. Le mémorial n’est pas juste un souvenir, comme l’on fête la fin de la guerre le 8 mai : c’est un moment où nous sommes invités à revivre ce qu’a vécu Jésus, à l’intérioriser, à laisser cet événement bousculer notre vie. Ce Vendredi Saint vietnamien, avec les saintes femmes, j’ai vu Jésus être descendu de la croix, être mis au tombeau. J’ai découvert dans ce mystère de la Croix tout l’amour que Jésus avait pour moi : « Il m’a aimé et il s’est livré pour moi » (Ga 2, 20). Et j’ai été transformé.
La messe aussi est un mémorial : « Nous faisons mémoire de la mort et de la résurrection du Christ », dit le prêtre pendant la Prière Eucharistique. Tout comme le Vendredi Saint, ce n’est pas un souvenir qui reste extérieur à nous mais un événement qui se rend actuel et qui nous transforme. Que se passe-t-il pendant la liturgie eucharistique ? Sur l’autel, le prêtre fait venir Jésus dans les saintes espèces et les offre au Père, rendant présente l’offrande de Jésus au Père sur la croix pour le salut du monde. Le pain de vie donné aux fidèles est la résurrection du Christ qui vient en nous. Avec des mots très simples, à la messe, nous avons devant nos yeux Jésus sur la croix puis Jésus ressuscité ! Et nous ne venons pas seulement assister à cela, comme des spectateurs à une pièce de théâtre : nous venons accompagner Jésus dans sa mort et sa résurrection, nous venons goûter à cet amour immense. Nous n’y goûtons pas de manière extérieure mais nous entrons dans la démarche du Christ : il s’est offert tout entier au Père. Nous aussi, offrons-nous au Père comme des offrandes spirituelles (1 P 2, 5).
Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Cela veut dire faire comme le Christ qui s’offre sur la croix : m’offrir à Dieu avec tout ce que je suis : mes joies, mes peines ; lui offrir mes semaines passées, ma famille, ma semaine à venir. L’offrir à Dieu et lui dire : « Voilà tout ce qui je suis, tout ce que j’ai, cela t’appartient, fais-en ce que tu veux, je te rends grâce pour toutes mes joies. Je te présente mes douleurs : viens-les faire fleurir, comme tu as rendu féconde la mort de ton Fils. Aide-moi à résoudre mes soucis, je ne veux pas les vivre sans toi. » Cet acte d’offrande, nous pouvons le vivre au moment de la doxologie, moment où le prêtre offre le Fils au Père en portant le pain et le vin consacré : « A toi Dieu le Père tout-puissant ». Ensuite, nous recevons la vie du Christ jaillie de Pâques au moment de la communion.
O Père, prépare nos cœurs aux messes qui recommencent. Bien souvent, nous avons assisté à la messe plus que nous n’y avons participé. Aujourd’hui, après cette interruption des messes, nous sommes des assoiffés de l’eucharistie : nous avons soif de te recevoir, de retrouver nos frères. Que pendant ces futures messes, nous vivions de tout notre cœur ce mystère immense. Que nous nous offrions tout entier à toi comme Jésus, avec Jésus, en Jésus.
Olivier de Petiville