« Reste avec nous Seigneur, le soir approche » (Luc 24,29)

 

Tel est le beau cri que nous entendrons dans l’Evangile de ce dimanche, celui du récit des disciples marchant vers Emmaüs … Ce cri du cœur que nous sommes invités à redire à notre tour …

 

Nous avons l’habitude d’appeler ce texte « l’Evangile des disciples d’Emmaüs » … ; ne vaudrait-il pas mieux dire « l’Evangile des disciples retournant à Jérusalem … » car c’est bien là ce qu’il faut retenir … !

La rencontre avec Jésus leur a donné de « se retourner », de se convertir pour retrouver leurs frères et être auprès d’eux les témoins de la Bonne Nouvelle ! C’est bien là le sommet auquel ce texte nous conduit.

Mais Emmaüs garde toute sa place : j’y reviendrai dans le commentaire de cet Evangile …

 

Reprenons donc le début de l’Evangile …

Nous voici sur le chemin d’Emmaüs, un dimanche soir, le 1° jour de la semaine …

Les deux hommes qui avancent ont l’air sombre, l’ambiance est lourde …

Beaucoup connaissent ce chemin, l’ayant emprunté un jour ou l’autre, au soir d’une désillusion, après une déconvenue, un deuil, une injustice ou une épreuve. Les questions passent en boucle dans notre tête comme les images d’une chaîne d’information télévisée, assombrissent notre visage et notre vision du monde. Le mieux est alors de partir, de prendre le large …

 

Du côté de Dieu, le chemin d’Emmaüs a un goût de commencement, de recommencement … Un soir, un autre soir, Dieu se promenait dans le jardin d’Eden pour y chercher sa créature … Adam, où es-tu ? Ce jour-là Adam et Eve se cachaient car ils avaient peur de Dieu.

Sur le chemin d’Emmaüs Dieu continue de chercher l’homme mais, pour ne pas l’effrayer, il avance incognito : « Jésus lui-même s’approcha et il marchait avec eux ». Il prend la route des hommes en déroute.

Il pose cette 1° question : De quoi discutez-vous en marchant ? Question que Jésus aime souvent poser et dont le résultat n’est pas toujours brillant … Question qu’il nous pose aujourd’hui …

Les deux hommes s’arrêtèrent alors tout tristes … Il n’est pas inutile de nous interroger : Qu’est-ce qui parfois rend mon visage sombre ? D’où vient cette tristesse intérieure ? Pourquoi suis-je accablé ?

C’est là que se joue le chemin d’Emmaüs : c’est dans nos misères et nos blessures que le Christ Serviteur vient nous rejoindre pour renouveler notre vocation.

On raconte que Sainte Bernadette a eu, non pas une dernière apparition, mais une lumière intérieure, lorsqu’elle était à Nevers ; il n’est pas certain que le fait soit véridique mais l’histoire illustre bien le chemin d’Emmaüs.

Bernadette avait quitté Lourdes donc et rejoint les sœurs de la Charité de Nevers. Elle rêvait d’être infirmière mais voilà que des soucis de santé l’en empêchent ; sur ce, la nostalgie des Pyrénénes, l’éloignement de la famille, le contrecoup psychologique des interrogatoires, les difficultés de communication avec certaine sœurs l’épuisent …

Ce qu’elle aurait alors appelé avec humour sa dernière apparition se passât lorsqu’elle contempla dans l’infirmerie une grande horloge murale … Elle fut alors illuminée intérieurement et dit à sa sœur prieure : « Ma sœur, j’ai enfin trouvé ma vocation. Pour que les aiguilles marquent l’heure il y a des poids dans le buffet de l’horloge ; ma vocation sera pareille ; je veux bien être un poids dans la communauté pour que celle-ci continue de vivre à l’heure de Dieu »

Le travail intérieur qui s’opère dans ce chemin d’Emmaüs en acceptant de se laisser rencontrer par le Christ  permet de faire de nos fragilités ou de nos poids des points d’appui pour avancer, pour puiser dans nos zones d’ombres des sources de lumière …

Un vieil évêque se retrouva un jour malade, cloué sur un lit d’hôpital, ne pouvant plus se déplacer seul … Il dit alors à un ami : Vois-tu j’ai trop souvent remis des médailles à ceux qui s’occupaient des malades ; je ne le regrette pas ; mais ce que je regrette, c’est de ne pas m’être rendu compte qu’il fallait surtout remettre des médailles à ceux qui supportaient qu’on s’occupe d’eux …

En donnant le nom d’Emmaüs à son œuvre  de solidarité et de partage, l’Abbé Pierre avait dû longuement médité sur cet épisode de l’Evangile ; Emmaüs c’est l’exemple d’une fausse route, d’une erreur de parcours, d’une mauvaise destination …

C’est précisément sur cette fausse route que le Christ vient nous rejoindre ; dans ma mesure où j’accepte d’être rejoint précisément là …

C’est pourquoi il est bon que ce récit garde ce nom d’ « Evangile des disciples d’Emmaüs » …

 

Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent …

Vous vous rappelez qu’au début de ces quelques lignes je vous parlais de Dieu qui se promenait dans le jardin ; mais Adam et Eve se cachaient ; leurs yeux ouverts avaient honte ; car ils étaient nus …

Ici, à Emmaüs, il nous est dit : leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent … Nous sommes à l’opposé d’Adam et Eve …

Leurs cœurs étaient tout brûlants … Ils n’étaient pas cachés.

En marchant avec eux, ils avaient pu sans honte dire leur fragilité, leur vulnérabilité … Alors ils voyaient l’essentiel

Sur ce chemin d’Emmaüs s’est opéré une alchimie étonnante : l’approche du Christ leur a ouvert progressivement l’intelligence du cœur et leur a permis, en contemplant la figure du Serviteur, de retrouver un cœur brûlant, un élan joyeux …

Alors ils repartent et ils éprouvent leur besoin de parler … leur fausse route, leur désespoir, leur rencontre, tout cela devient une histoire sainte …

Ils n’ont qu’une chose à dire : Il est vivant ; ou plutôt deux choses à dire : Il est vivant ; et « Nous sommes vivants »

Alors, oui, je n’ai qu’une chose à dire au Seigneur : Oui, reste avec nous, toi notre compagnon de route … Oui, prends les choses en main …

A dimanche, sur notre route d’Emmaüs, avec tout le poids de notre vie !

Pour ensemble nous laisser ressusciter !

Père Patrice Guerre, curé de l’ensemble paroissial Saint Pothin – Immaculée Conception