« Lettre à un ami confiné »

Cher ami, bien-aimé du Christ,

Oserais-je t’avouer que les mots me manquent pour préparer une méditation sur les textes de ce jour ? Depuis dimanche soir, me voilà sec ! J’aimerais te dire combien sont belles ces larmes de Marie-Madeleine, combien plus encore est lumineuse sa rencontre avec le Christ Ressuscité. J’aimerais te parler de ce qu’est l’essence même de notre baptême, ce passage dans la mort et la résurrection du Christ pour entrer dans la vie même de Dieu (Rm 6, 3). Mais les mots m’échappent.

C’est étrange, il y a deux jours seulement, je suis me levé tout heureux de fêter la Résurrection. Quelle joie ! comme dirait notre cher Curé … Il faut dire qu’en termes de carême, le confinement de ce dernier mois est quelque chose ! Cela vaut certainement bien une indulgence pour chacun de nous ! Je te dirais que ce qui m’a le plus marqué, c’est le samedi saint, cet entre-deux silencieux et la lecture par l’après-midi ensoleillé, au bord de ma fenêtre, des textes de la vigile pascale. Oui, grâce du confinement de me donner de découvrir et de vivre le samedi saint, non pas comme le premier jour d’un week-end prolongé mais comme le temps de l’attente où le projet de Dieu pour chacun de nous s’accomplit.

Tu vois, je devrais encore être porté par cette joie de Pâques. Et pourtant, je ne peux empêcher une forme de lassitude m’envahir, à l’idée d’être encore confiné pendant plusieurs semaines, à l’idée des projets des uns et des autres qui se trouvent bousculés, reportés et parfois même abandonnés, devant l’incertitude des lendemains.

Ai-je donc si peu de foi que la lumière de Pâques ne suffit pas à me tenir plus longtemps debout rayonnant d’une joie intérieure communicative ? Mais c’est peut-être cela la pauvreté de cœur qu’il m’est donné de vivre … enfin !

Alors, me reviennent en mémoire tous ces visages qui m’ont porté dans la foi tout au long de ces années, mes parents, Karine et les enfants, le Père Boy, le Père Guerre, Bernard et sa belle barbe blanche, vous tous de la fraternité, vous tous qui m’accompagnez sur le chemin du diaconat. Il me revient ton visage mon ami et tous ceux des paroissiens que j’ai découverts peu à peu. Oui, chacun de vous est un visage du Christ Ressuscité ; chacun de vous est le point d’une mosaïque qui dessine le visage du Christ qu’il m’est ainsi donné de rencontrer et de contempler, comme Marie-Madelaine au jardin du tombeau.

Alors, me revient en mémoire cette phrase d’Etty Hillesum, qui a connu l’horreur des camps de concentration et que je voudrais te partager « je vais t’aider mon Dieu à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne peux rien te garantir d’avance. Une chose cependant me paraît de plus en plus clair : ce n’est pas toi qui peut nous aider, mais nous qui pouvons t’aider – et ce faisant nous pouvons nous aider nous-mêmes. C’est tout ce qu’il est possible de sauver en cette époque et c’est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous aussi contribuer à te mettre au jour dans les cœurs martyrisés des autres. Oui, mon Dieu tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. Je ne t’en demande pas compte, c’est à toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un jour. Il m’apparaît de plus en plus clairement à chaque pulsation de mon cœur que tu ne peux pas nous aider, mais que c’est à nous de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous ».

Voilà finalement tracé un chemin pour vivre ce temps pascal confiné. Ce ne sera peut-être pas une explosion de joie, Seigneur, mais je m’engage à rester fidèle, dans la prière, la communion spirituelle et la charité, à la promesse de mon baptême afin que ce ne soit plus moi qui vive, mais Toi, qui est ressuscité, qui vive en moi (Ga 2, 20) et qu’ainsi la lassitude et la peur de ce temps n’aient pas le dernier mot. Et s’il m’arrive de chuter, je t’en demande par avance humblement pardon, afin que dans tes bras, Seigneur, je sois relevé.

Cher ami, bien-aimé du Christ, prions l’un pour l’autre, prions les uns pour les autres, pour nos prêtres et nos diacres, pour notre communauté paroissiale, pour notre Eglise et pour celles et ceux qui n’ont pas encore rencontré notre Seigneur. Prions pour que nos cœurs restent pauvres et assoiffés de Dieu. Prions pour que la lumière de Pâques vienne éclairer notre cœur profond et nous tienne en éveil de Dieu et de l’Homme. Prions pour que l’espérance soit plus forte que la lassitude, que la liberté de Dieu soit plus forte que nos confinements, que l’amour du Christ soit plus fort que nos peurs, que la flamme de l’Esprit Saint soit plus forte que nos nuits et que jamais elle ne s’éteigne.

Cher ami, bien-aimé du Christ, je t’embrasse comme je t’aime.

Christ est ressuscité, Alléluia !