Il est où ?

 

« Il est où, Payou ? » crie à chaque fois qu’il arrive dans la maison de ses grands-parents le petit Antoine. Et de se mettre à courir, de-ci de-là, jusqu’à ce qu’il finisse par le retrouver, son papy adoré. Et de lui demander aussitôt de s’asseoir tous les deux en tailleur à même le sol : « Je veux que tu discutes avec moi, que tu m’apprennes les choses que tu sais ; et moi, que je te pose toutes mes questions. » Le petit a six ans. Les discussions en tête à tête durent alors plus d’une heure…

Chaque fois que nous lui faisons une place,  le Royaume de Dieu est là.

Que ce soit en nous (en nous-mêmes) ou au milieu de nous (« Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. » (Mt 13,20))

Le problème, c’est que l’homme veut occuper toute la place. Il  « boute » Dieu hors de son terrain de vie. Dieu est congédié, plus ou moins poliment. Parfois impoliment. Lui qui a créé les mondes, l’auteur de la création, est jeté dehors, ou mis au cachot  souterrain de nos âmes pour qu’on ne L’entende plus !

Oui, mais il y a les prophètes, les prophètes de l’amour  qui resurgissent toujours, qui crient la Vérité : l’homme est un être infiniment aimé et désiré, qui ne s’est pas créé lui-même.

Toute la recherche délirante  de ces dernières années n’a qu’un seul but : arriver à convaincre l’homme qu’il peut se créer lui-même, qu’il pourra bientôt se créer seul – tout seul – sans même avoir besoin d’un ou deux autres êtres humains.

Les prophètes de l’amour rappelleront  que ce que Dieu a voulu pour  l’homme  est bon, et le meilleur de ce qu’il puisse espérer et rechercher : la vie éternelle et la félicité éternelle.

Que le bonheur sans l’autre n’existe pas.

Que moi et moi, et moi …ne fait pas la vie, ne donne pas la vie.

La  vie jaillit de l’écart, irrésistible, qu’il y a entre moi et l’autre.

 

Il est où, le Royaume de Dieu ?

Mais il est dans le cœur de ces parents dont le fils a été assassiné  à la sortie d’une boîte de nuit, en vacances un été en Corse.

Leur fils, se voyant mourir, a pu trouver suffisamment d’air et  murmurer, tout baigné d’un lumineux sourire, son pardon à celui qui l’avait poignardé.

Et ses parents de dire, pleurant et tout à la fois transfigurés, les visages irradiés d’une lumière intérieure : « Lui pardonner ?  La question ne s’est pas même posée. Comment ne pas pardonner à cet homme du même âge que notre fils, et à qui Thierry, notre fils, a offert son plein pardon avant d’expirer ? » « Oui, chaque année, nous nous retrouvons à une messe avec les parents du jeune homme qui a tué notre fils pour prier avec eux  pour leur fils en prison. Il ne nous viendrait même pas à l’esprit de ne plus le faire. Thierry, nous le savons, nous connaissions son immense bonté, sa bienveillance avec tous et toutes, n’attendrait rien d’autre de nous.  C’est normal, même si cela n’enlève pas notre douleur : Il  nous faut prier pour celui des deux qui est encore vivant, et qui peut être sauvé. »

 

Le Royaume de Dieu, il est où ?

Mais dans le cœur de cet étudiant, Jacques, sportif,  féru de montagne, avec une bande d’excellents amis.

Un jour, au cours d’une de leurs ascensions, un des leurs, appelons-le Marc, rate une prise, et, après un instant de déséquilibre, dévisse. En une fraction de seconde, il se retrouve suspendu dans le vide à la corde qui le relie au reste de l’équipe. Ses compagnons s’arc-boutent, et résistent au choc, et au poids de leur ami qui les tire vers l’abîme, car leurs forces faiblissent.

Alors Marc, qui pivote dans le vide, suspendu à la corde, tourne son visage vers eux. Il resplendit d’un beau sourire alors qu’il les fixe intensément. Marc se met à gesticuler, se contorsionne et sort de sa poche  son canif ; et d’un geste sec, tranche la corde qui le relie à ses amis qu’il sait être en train de s’épuiser, et qu’il entraînerait tôt ou tard dans sa chute.

Jacques gardera à jamais gravé dans son coeur le dernier visage rayonnant  de son ami Marc le fixant d’un regard intense de joie au moment où il se sacrifie et les quitte … pour les sauver.

Jacques ressentira dès cet instant que sa vie ne lui appartiendra plus. Qu’un autre a accepté de mourir pour lui donner la vie. Que faire sinon de donner sa vie à son tour ?

Jacques instantanément décide de devenir prêtre. Il sera vicaire du Père Michel Dubost, notre futur administrateur apostolique. Puis lui succédera comme curé, dans une paroisse de Paris.

 

Le Royaume de Dieu, il est où ?

Mais dans cette pauvre dame âgée, toute petite, que rien, pas même la nuit, ni la pandémie n’arrête, et qui chaque soir vient seule prier  dans une grande église. Et elle repart, à petits pas, après avoir prié, le cœur rempli de la lumière de son Seigneur qui est à nouveau descendue dans son cœur, le plus beau des tabernacles qu’Il se cherche. « Si quelqu’un m’aime, il observera ma parole et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui  et nous établirons chez lui notre demeure. » (Jn 14,23)  « L’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. » (Jn 4,23)

 

Il est où, le Royaume de Dieu ?

Mais au fond d’une étable, nu, à peine né, par accident dans une nuit comme toutes les autres. Et pourtant ce petit inconnu des grands du monde deviendra le Roi du monde, le Prince de la Paix. « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons : nous-mêmes, nous l’avons entendu, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde ! » (Jn 4, 42)

 

Le Royaume de Dieu, il est où ?

Mais dans le cœur et sur les lèvres de cette ancienne personne à la rue qui, recevant la communion, ne peut contenir son Merci. « Cela me fait du bien, tellement du bien. » Et de témoigner de son bonheur, et combien la communion transforme et irradie les jours de sa semaine.

 

Le Royaume de Dieu, il est où ?

Il t’appartient, à toi, à moi, de prendre ta plume  et de faire le récit  de tous ces moments où tu as perçu, rencontré, même furtivement, le Royaume aujourd’hui « au milieu de [nous] » (évangile de ce jour). Il est invisible aux yeux du monde, souvent parce que le monde ne sait pas reconnaître « l’heure où Dieu [le] visitait » (Luc 19,44)

Ne pensons pas que les « visites de Dieu » au cœur de nos vies, aux cœurs de nos tempêtes à apaiser, n’aient plus lieu. Au contraire ! Il nous faut juste apprendre à les repérer, à les savourer, à les laisser parfois nous surprendre car elles sont là où on ne les attendait pas ou plus, toutes proches.

Il y faut juste un regard de foi, un regard de joie, un regard de pauvre : « Ne crains pas petit troupeau. Mon Père a jugé bon de te donner son Royaume » (Lc 12,34). Il appartient aux humbles, à ceux qui savent se faire petits et serviteurs de leurs frères. Plus nous nous ferons petits, plus nous verrons briller le royaume dans les plus petits de nos frères, les bien-aimés du Père.

 

Les  potentats et les puissants de ce monde sont aveuglés et « leurs yeux ne voient pas, leurs oreilles n’entendent pas » (cf. Mt 13,13.15), eux qui se croient voir et entendre mieux que quiconque  grâce à leurs pouvoirs et à leurs puissances … fragiles, friables … qui ne savent comment faire devant un microscopique virus qui terrasse leurs suffisances arrogantes.

 

Les Pharisiens disent à Jésus : « Quand viendra le règne de Dieu ? » Jésus répond par un présent. : « Le Règne de Dieu est au milieu de vous. » (Lc 1, 21)

Comme dans les Béatitudes : 7 sont au futur ; 2 sont au présent.

« Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des Cieux est à eux. »

Et « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des Cieux est à eux. » (Mt 5)

 

Jésus les invite à passer d’un futur à un présent. Le futur sera la manifestation éclatante d’un Présent qui est déjà là, devant vous, parmi vous, en vous si vous le vouliez (« Le temps présent, comment ne savez-vous pas le reconnaitre ? » Luc 13,56). Si vos cœurs s’ouvraient à l’inouï de ce qu’il vous est donné de contempler, le Royaume s’y engouffrerait. Il serait alors, si vous le vouliez  en vous , « au milieu de vous » et règnerait sur vos cœurs profonds, sur vos envies, vos désirs, vos ambitions, vos émotions, vos projets et aspirations. Vous seriez « pierres vivantes » du Royaume au milieu de ce monde privé de lumière, de la Lumière auquel il a droit. Mais si vos cœurs restent fermés, vous privez le monde de ce qu’il attend le plus : percevoir que son Dieu s’est aujourd’hui fait proche, se fait proche encore et maintenant, honorant sa promesse : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28,20)

Le futur (le « Jour du Fils de l’Homme », ce que les pharisiens nomment, sans le connaître, la venue du Règne de Dieu) sera la manifestation éclatante d’un présent qui était déjà là, telle la semence invisible enfouie dans la terre  mais bien au travail, et que rien n’y personne n’a repérée, et que rien ne pourra empêcher de germer et de porter ses fruits.

Telle est la venue incognito, cachée, du Sauveur, dans une crèche, une nuit. Le Royaume de Dieu est là. Le Roi de l’Univers se fait semence. Et aucun roi ne pourra s’opposer à la germination du Royaume  dans les cœurs de Ses Enfants. Nous sommes « les fils du Royaume » (Mt 13,38).

Le Règne de Dieu est semence en  nos cœurs  pour le monde. « Vous êtes la lumière du monde.» (Mt 5,14)   Mais « les hommes ont préféré l’obscurité à la lumière. » (Jn 13,19)

Sauve-nous, Vierge Marie, donne-nous d’accueillir le royaume au plus profond de nos cœurs, de le laisser grandir  en nous ; et de laisser diffuser au-delà de nous sa douceur, sa tendresse, afin  que soit ravivée l’espérance de nos frères et sœurs. Que le Royaume soit !  

 

 Il est où, le royaume de Dieu ?

Il est sur les lèvres d’un brigand de grand chemin, qui se tourne vers son voisin de gauche et lui dit ses fourvoiements, et combien il aspire à retrouver son innocence gâchée, perdue.

 Et de lui crier : «  Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume ! » (Jn 23, 42)  Et Jésus de lui déclarer, sans condition :  « Amen. Je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »  (Jn 23, 43)