« Notre chemin de conversion »
La première lecture de ce jour nous donne à méditer les chemins de conversion, c’est-à-dire les chemins de rencontre avec le Seigneur et cette orientation décisive que nous souhaitons donner à notre vie, une vie ajustée à Dieu.
Tout chemin de conversion commence dans la nuit de notre existence, prisonnier souvent de nos peurs et de nos désirs de maîtrise. A l’image de ce geôlier qui prend toutes les dispositions pour empêcher la fuite de Paul et de Silas, nous nous efforçons de tenir notre destin en main et d’éviter tout ce qui pourrait détourner le cours normal de nos vies. Nous sentons confusément que laisser de la place à l’imprévu de Dieu nous expose à des bouleversements qui nous effraient. Il est alors plus facile de s’en tenir à une vie ordonnée que nous protégeons derrière les murs que nous édifions. Une prison, au mieux dorée, en somme … que notre esprit cartésien s’ingénie à justifier et préserver.
Quelles sont aujourd’hui nos peurs, nos prisons ? Quels sont nos murs à abattre, nos portes à ouvrir pour laisser à Dieu la chance de nous approcher ?
Tout chemin de conversion suppose une rencontre avec des disciples du Seigneur, passeurs de la rencontre. Dans la nuit de Philippes, Paul et Silas sont pour le geôlier anonyme ces témoins du Christ. Aujourd’hui, nous sommes nous aussi appelés à témoigner sur nos lieux de vie et d’engagement… Comment cela ? Par le geste et la parole, à l’instar de Paul et Silas qui même libérés de leurs chaines ne s’enfuient pas et crient au geôlier de ne pas se tuer ! Geste et parole décisifs, traversés par la présence de Dieu, qui ouvrent le cœur du geôlier et rendent la rencontre possible.
Nous opposons souvent le geste et la parole ou privilégions l’un par rapport l’autre ; certains souhaitent des chrétiens agissant en silence ; d’autres préconisent de poser avant tout une parole forte quitte à être désincarnée. La lecture des Actes des Apôtres nous enseigne que parole et geste vont de pair pour toucher le cœur de nos frères ; baptisés, nous sommes appelés à une vie ajustée à l’Amour de Dieu et à une parole de charité ajustée à notre vie.
Quels ont été les témoins du Christ sur notre route ? Par quels actes, par quelles paroles nous ont-ils touchés ? Comment puis-je aujourd’hui témoigner de l’Amour de Dieu par le geste et la parole ?
Tout chemin de conversion nous conduit à découvrir le sens profond de notre vie appelée à l’intimité de Dieu et donc à regarder au-delà de notre horizon terrestre. C’est ce dont témoigne le geôlier demandant à Paul d’être sauvé, alors même que ce dernier l’a déjà empêché de se tuer. Ce saut dans le monde d’En Haut porte un nom : Jésus-Christ. Oui, en Jésus-Christ, je me découvre infiniment aimé de Dieu, je me découvre enfant de Dieu et non plus seulement enfant des hommes ; en Jésus-Christ, toute ma vie entre dans l’espace et le temps de Dieu. En Jésus-Christ je suis sauvé et ma vie a le goût de l’Absolu ! C’est ce que nous sommes appelés à croire, à vivre…
Est-ce que je crois qu’en Jésus-Christ je suis né de Dieu ? Est-ce que je crois que ma vie est d’ores et déjà en Dieu, que mes paroles et mes actes ont valeur d’éternité ? Est-ce que je désire cette vie de Dieu que je reçois par le don de Jésus-Christ ?
Tout chemin de conversion porte du fruit. Avant toute chose, la conversion nous libère de nos peurs et de nos prisons. Ce geôlier, si craintif de ses chefs qu’il était prêt à se donner la mort, prend lui-même l’initiative de faire sortir Paul et Silas de leur cachot !
Ainsi libérés, nous pouvons goûter la joie de Dieu, la joie d’aimer et de servir. Et cette joie, à son tour, est un témoignage pour celles et ceux que nous rencontrons. Il est beau de contempler ce geôlier anonyme laver les plaies de Paul et de Silas, reprenant – sans le savoir – les gestes du Christ au soir de la Cène. Nous comprenons alors que la conversion nous conduit à l’Amour, à l’Amour de Dieu et à l’Amour de nos frères. Nous comprenons que la vocation propre et particulière de l’homme est d’aimer et d’être aimé. C’est l’expérience de Primo LEVI dans l’enfer d’Auschwitz, lieu terrible de la déshumanisation de l’homme. A propos d’un prisonnier ayant partagé son pain avec lui, l’auteur rapporte « ce fut là le premier geste humain échangé entre nous. Et c’est avec ce geste, me semble-t-il, que naquit en nous le lent processus par lequel, nous qui n’étions pas mort, nous avons cessé d’être des détenus pour apprendre à redevenir des hommes » (extrait de « Si c’est un homme »).
Oui, à l’amour que nous portons et partageons, nous reconnaissons la marque de Dieu et la marque de notre humanité, nous reconnaissons la gloire de Dieu en l’homme vivant.
Il n’est pas d’homme sans Amour, il n’est pas d’homme sans Fraternité, il n’est pas d’homme sans Dieu.
Là est notre identité profonde ; là est le sens ultime de notre vie ; là est notre foi en Jésus-Christ qui nous conduit au Père, notre chemin de conversion.
Frédéric Subra, candidat au diaconat permanent