« SEIGNEUR JESUS, REÇOIS MON ESPRIT »
Chacun de nous a en mémoire ces scènes de bousculades et les rayons vides des supermarchés dans les jours qui ont précédé le confinement. Contrastant avec ces réactions épidermiques et irraisonnées, voici les témoignages de deux SDF croisés au détour d’une maraude : le premier nous laisse tout le sucre en poudre qu’il avait conservé afin que nous puissions continuer à servir du café ; le second ne prend pas le sac de déjeuner ayant déjà ce qui lui était nécessaire pour midi. De vous à moi, n’aurions-nous pas, à sa place, pris le sac ne sachant pas quel serait notre prochain dîner ou déjeuner ?
Il y a une leçon qui en dit long sur notre nature profonde … la peur de manquer, la volonté de tout maîtriser, l’angoisse de l’inconnu.
Précisément, la crise que nous traversons nous place là où ne nous voulons surtout pas être, dans l’imprévu et l’inconnu le plus total. On peut regarder toutes les actualités de la terre, surfer sur le net toute la journée à la recherche d’informations, la réalité est des plus simples : nul n’a de certitude sur ce que sera demain, nul n’a véritablement de maîtrise sur son avenir, …
Quel bouleversement pour l’homme du 21ème siècle, bercé par l’illusion que la science et les technologies le protégeait de toutes ses angoisses contre un avenir incertain et qui s’effrayait d’un TGV en retard de quelques minutes !
Et pourtant, il existe une réponse chrétienne à cette peur de l’inconnu et ce désir de maîtrise qui saisissent naturellement le cœur de l’homme : « agis comme si tout dépendait de toi, en sachant qu’en réalité tout dépend de Dieu » (paroles attribuées à Saint Ignace de Loyola).
Etienne aurait-il témoigné de sa foi jusqu’à la mort s’il avait craint le lendemain et s’il n’avait pas d’ores et déjà tout remis entre les mains du Seigneur ? Face aux juifs qui attendent d’être libérés de la faim et des angoisses de la vie, Jésus répond qu’il est le Pain de Vie : « celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif ». Les textes de ce jour nous aident à comprendre cette réponse chrétienne à l’angoisse humaine.
« Agis comme si tout dépendait de toi », c’est rappeler la responsabilité et la liberté de l’homme dans son existence même. Si Dieu s’est incarné pour nous rejoindre en notre humanité, c’est bien que c’est dans l’acceptation de notre humanité que nous sommes appelés à le rencontrer. Oui, il est de notre responsabilité (et c’est aussi notre liberté) d’assumer notre humanité, de nous prendre en main et de nous engager pleinement sur le chemin de la vie, malgré les peurs qui nous assaillent, malgré nos doutes sur les lendemains ; ils sont inhérents à l’existence. Il est de notre responsabilité de nous engager dans ce monde, d’y tenir notre place selon notre charisme. Nous ne pouvons pas nous dérober face à l’obstacle. Etienne a-t-il fuit, lui ?
Nous sommes appelés à ce courage d’être, c’est-à-dire à accepter, tel que nous sommes, l’expérience de la vie telle qu’elle est, avec ses joies et ses peines, ses misères et ses richesses, ses risques et ses aléas, ses doutes et ses angoisses, ses rencontres et ses solitudes, en enfant de ce Dieu qui s’est incarné pour traverser avec nous tous les pans de l’existence. Comme l’a si bien écrit Paul Tillich, « le courage d’être s’enracine dans le Dieu qui apparaît quand Dieu a disparu dans l’angoisse du doute ».
Sur le chemin ardu de notre condition humaine, il est alors essentiel de prier les uns pour les autres, de nous porter les uns les autres.
« En sachant qu’en réalité tout dépend de Dieu », c’est prendre le recul nécessaire par rapport à nos propres actions pour tout remettre entre les mains du Seigneur, avec la conviction que Dieu fait concourir toutes choses au bien de ceux qui l’aiment (Rm 8, 28).
C’est cette disposition intérieure qui nous fait nous départir de toute volonté de maîtrise pour reconnaître en Jésus-Christ la seule source de la Vie, celle qui répond au dessein de Dieu de nous conduire à lui, qui étanche nos faims et nos soifs, nos angoisses et nos doutes. C’est l’attitude profonde d’Etienne, qui va jusqu’à remettre ses persécuteurs entre les mains de la miséricorde divine.
En Jésus-Christ, je découvre alors le sens profond de mon être et sa valeur infinie ; je suis à Dieu. Je m’abandonne à Lui et Lui jamais ne m’abandonne. Quoiqu’il puisse advenir, quoi qu’il en soit de mes réussites ou de mes échecs, quel que soit l’avenir, rien ne m’appartient, tout est entre ses mains ; le résultat est à Dieu et je suis à Dieu. En Jésus Ressuscité, je suis libéré de la peur de l’inconnu car il est là où je ne suis pas encore allé, il est là où je ne voudrais pas aller, il est là où le courage me manquerait, il est là où le mal est déjà vaincu.
Père, donne-moi le pain de ce jour, pas plus pas moins ! Seulement ce pain dont j’ai besoin pour m’engager aujourd’hui dans cet inconnu qui m’effraie, dans ce lendemain incertain.
Seigneur Jésus, reçois mon esprit, tu es le Pain de Vie.
Frédéric Subra, candidat au diaconat permanent