Homélie pour le jeudi saint 2020

 

Il est quand même très étonnant que le soir du jeudi saint l’Eglise ne nous donne pas à entendre le récit de l’institution de l’Eucharistie mais ce récit du lavement des pieds.

L’Eucharistie est si essentielle, nous nous en rendons tellement compte en ces jours, c’est un tel mystère … Qu’est-ce qui pourrait faire que à ce récit de l’institution soit préféré à celui du lavement des pieds ?

Certes, cela s’est passé en même temps c’est-à-dire au cours du même repas, et il fallait donc choisir mais cependant à choisir entre les deux n’aurait-on pas choisi plus spontanément de réécouter Jésus qui nous donne son Corps et son Sang … ?

Vous me direz que cette année cela tombe bien ; mais je ne suis pas sûr que ce soit pour les chrétiens persécutés ou en situation d’épidémie que le récit de l’institution ne nous soit pas partagé …

 

Alors faut-il comprendre que l’Eucharistie serait secondaire, qu’une fois que l’on aime tout est accompli ? Non, bien sûr ; l’Eucharistie est la source et le sommet de la vie de l’Eglise, cela aucun de nous ne l’oublie ce soir … C’est d’ailleurs pour cela que vous êtes là, pour prier, avec toute la ferveur de votre cœur …

L’oraison de la messe de ce jour nous dit que l’Eucharistie est le sacrement de l’amour ; c’est une réponse au lien fait entre l’Eucharistie et le lavement des pieds où Jésus manifeste son amour …

Dans les deux récits aussi Jésus nous demande de faire ce qu’il a fait pour nous : « Faites cela en mémoire de moi » et « Ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi … »

Mais il nous faut approfondir davantage :

Pourquoi alors ce récit du lavement des pieds ce soir ?

 

Je voudrais vous donner deux raisons :

1) Parce que l’Eucharistie s’inscrit dans une histoire, dans un récit, celui de la vie du peuple d’Israël, de sa Pâques dont nous avons entendu le récit dans la 1° lecture, celui de la vie de Jésus dont nous avons aussi entendu le récit dans la 2° lecture, celui de nos propres vies ce soir (ce que j’ai fait, faites-le) …

Car l’Eucharistie c’est d’abord une action de grâce : une action de grâce pour ce que Dieu a réalisé pour moi ; le Christ vient rendre ce qu’il a reçu

Au moment d’être livré, il prit le pain, il rendit grâce … De même pour la coupe …

C’est une action de grâce …

Cette action de grâce elle suscite le don, elle entraîne au don

Et c’est donc un envoi en mission

Cet envoi en mission que nous appelons la messe, la messe ce nom curieux puisqu’il désigne non pas ce qu’il se passe pendant l’Eucharistie mais après, notre histoire qui se poursuit …

 

L’Eucharistie n’est pas un en soi, elle n’est pas une parenthèse, ce que nous en faisions peut-être …

Si elle est sommet de la vie de l’Eglise c’est qu’elle est précédée de tout ce que Dieu nous a donné et nous venons lui rendre grâce, action de grâce qui suscite le don …

L’Eucharistie se donne à découvrir dans ce mouvement d’action de grâce qui la précède et qui l’entraîne plus loin … Il les aima jsuqu’au bout …d’où ce lavement des pieds

 

Je cite quelques mots de ce que Mgr Dubost a écrit aux prêtres pour ce jeudi saint :

 

Spontanément, nous plaçons l’Eucharistie au cœur de notre vie, mais cela n’est juste que si nous lui donnons sa pleine signification.

Le Jeudi Saint, Jésus ne réunit pas ses disciples pour instituer l’Eucharistie, mais pour que ses disciples, grâce à l’Eucharistie, entrent dans son sacrifice et continuent sa mission.

 

Loin de moi donc d’opposer l’Eucharistie et le lavement des pieds mais simplement l’invitation forte à ne pas isoler l’Eucharistie qui deviendrait alors une coquille vide ; et notre tentation sera toujours de ne pas découvrir l’Eucharistie dans l’histoire d’Israël, dans ce que Dieu réalise, dans l’histoire même de Jésus, dans ma propre histoire …

Vous me direz que cela paraît assez évident : nous avons besoin d’être nourris pour vivre notre condition de chrétien ; sans quoi nous risquons l’anémie ou la famine …

 

Nous pouvons alors aller plus loin

Je cite à nouveau Mgr Dubost dans son message aux prêtres pour ce jeudi saint :

 

« Manger le corps du Christ, ce n’est pas l’assimiler (ce n’est pas le Christ qui devient nous), mais se laisser assimiler par lui (c’est nous qui devenons le Christ) entrer dans le sacrifice du Christ, devenir serviteur, accepter de faire corps avec l’Agneau de Dieu pour porter le poids du péché du monde » …

 

Je ne me nourris pas de l’Eucharistie pour avoir des forces pour ma mission, pour poursuivre ma route mais pour vivre de la mission du Christ, réaliser sa volonté, me laisser assimiler par lui, poursuivre sa route …

L’Eucharistie inscrit mon histoire dans cette  du Christ …

Mon histoire qui peu à peu devient celle du Christ qui est le chemin …

Je vis mais ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi …

 

Vous comprenez mieux maintenant pourquoi nous entendons ce récit du lavement des pieds : c’est parce que par l’Eucharistie tout prend sens

C’est parce que le lavement des pieds précède l’Eucharistie, Jésus purifie, prépare les cœurs et prolonge l’Eucharistie en nous invitant à nous donner, à servir

Le lavement des pieds inscrit l’Eucharistie dans l’histoire …

Cette 1° raison elle touche donc mon rapport au temps ; elle m’inscrit dans le temps …

Une seconde raison qui va être une raison cette fois-ci verticale, de profondeur …

C’est dire très simplement que tout geste de service, tout acte d’amour est rejoint par l’Eucharistie qui lui donne une profondeur incroyable …

Et je ne voudrais minimiser aucun geste d’amour, si petit apparemment soit il

Pourquoi est-ce que je peux dire cela (que tout acte d’amour acquiert une profondeur incroyable)

Car vous le savez ce geste reste surprenant ce soir :

Normalement s’il s’agit d’un simple geste de service ; ce geste aurait dû trouver sa place au début du repas, chez le Maître de maison pour accueillir ses amis …

Or

  • Le lavement des pieds, ce soir, dans l’évangile entendu, n’est pas fait au début du repas mais au cours du repas …
  • Jésus n’est pas chez lui … la cène se passe au cénacle

 

En fait quand Jésus lave les pieds de ses disciples, ce n’est pas l’accueil dans le Cénacle ; ce n’est pas au début du repas mais c’est le geste d’accueil dans le royaume, dans son intimité, dans l’endroit où il veut que tous soient rassemblés, dans son royaume qui est déjà le ciel sur a terre, l’éternité bienheureuse …

Père, ceux que tu m’as donné, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi …

Que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux …

 

Tout acte de service est un accueil dans le royaume des cieux, dans l’intimité de Dieu

Aimer l’autre c’est lui révéler qu’il est aimé de Dieu

Et c’est cela l’Eucharistie, et c’est cela la vie nouvelle des enfants de Dieu …

Le lavement des pieds, c’est la révélation de ce qu’est l’Eucharistie, c’est la manifestation de la beauté de l’Eucharistie …

Et aussi la manifestation de ce qu’est aimer, de sa grandeur et de sa profondeur …

Le lavement des pieds nous donne de découvrir l’être profond de celui qui donne son corps et son sang : un Serviteur …

C’est pourquoi il nous fallait ce soir entendre le récit du lavement des pieds …

 

Amen