Homélie 28° dimanche. Année C. 2019.

 

  • Chers frères et sœurs, nous sommes aujourd’hui invités à l’action de grâce, à la suite de ce lépreux samaritain qui a été guéri.
  • Nous sommes invités à la reconnaissance, c’est-à-dire à la résurrection : Relève-toi dit Jésus au samaritain qui rend grâce
  • Je voudrais avec vous distinguer deux étapes, deux niveaux de lecture dans ce récit du lépreux samaritain guéri par Jésus qui vient rendre grâce. Vous verrez que ces deux étapes sont importantes pour aller jusqu’au bout de ce que Dieu veut nous enseigner aujourd’hui.

La première étape est classique :

  • C’est une invitation simple et forte à l’action de grâce.
  • « Et les 9 autres, où sont-ils ? » demande Jésus.
  • Les 9 autres : ils ont obtenu ce qu’ils réclamaient à grands cris (la guérison et non le salut); ils poursuivent leur route, tête baissée sans doute ; nous connaissons bien cette attitude ingrate ; le bonheur n’est plus un don mais un dû ; exister n’est plus une grâce mais un état auquel on s’habitue … C’est au fond normal d’être guéri par ce Jésus, l’un des nôtres …
  • Le samaritain lui est revenu sur ses pas : plus littéralement, il se retourne (le verbe est employé deux fois) … Cela exige une conversion. Les 9 autres sont comme habitués.
  • Péguy écrivait : « Du bois mort, c’est du bois habitué ; une âme morte, c’est aussi une âme extrêmement habituée … »
  • Il revient en glorifiant Dieu à pleine voix et en se jetant aux pieds de Jésus …
  • Chers frères et sœurs, est-ce que la louange a une vraie place dans vos vies, est-ce que l’Eucharistie est véritablement action de grâce, reconnaissance de ce que Dieu fait pour vous ? Pour nous jeter aux pieds de Jésus
  • Car la foi n’est pas d’abord une connaissance (beaucoup connaissent l’évangile sans croire), connaissance abstraite, c’est une reconnaissance, une rencontre : « Toi Seigneur tu m’as sauvé … »
  • Cette première étape dans la lecture de cet épisode de l’Evangile est évidemment essentielle.
    Mais, et je suis désolé de vous le dire ainsi, si vous en restez là vous n’êtes pas chrétiens …

Passons au 2° niveau de lecture, à la 2° étape :

  • Et pour vous provoquer, je commencerais en vous disant qu’en fait ces 9 lépreux qui ont été guéris ont eu raison de ne pas venir remercier Jésus … Du moins semble-t-il …
  • Reprenons la première lecture qui est très claire : Naaman par un geste d’une touchante simplicité a été guéri de sa lèpre par le seul fait de se plonger avec confiance dans le Jourdain. Il veut alors remercier l’homme de Dieu, Elisée, le prophète, qui lui a demandé de plonger dans le Jourdain.
  • Mais Elisée refuse de manière très ferme par deux fois le don que Naaman veut lui faire. Et il a raison : il n’est pas Dieu. C’est à Dieu que revient la gloire, la louange. Nous te rendons grâce pour ton immense gloire dit le « Gloria »
  • L’histoire se poursuit. Naaman étant reparti, avec de très nombreux biens, voici que Gehazi le serviteur d’Elisée se dit que c’est quand même trop dommage de laisser partir un homme si riche, que lui et son maître n’ont pas grand chose pour vivre et qu’au fond ils méritent bien un petit remerciement.
  • Il court alors de sa seule initiative vers Naaman, le rattrape au loin et lui dit : « Mon maître a changé d’avis ; il accepte un présent » ; Naaman s’empresse de lui donner un présent ; Gehazi repart avec ce présent et en devient sur le champ lépreux …
  • On pourrait dire que la lèpre c’est le fait de se prendre pour Dieu, je me coupe alors de Dieu et des autres, je deviens même insensible aux autres (ce qui est vrai de la maladie où l’on ne ressent plus la blessure), enfermé en moi-même … Coupé de la source.
  • Reprenons l’évangile : les 9 lépreux guéris dans l’évangile connaissent la loi et le récit d’Elisée. Il ne faut pas remercier le Maitre Jésus qui a permis la guérison.
  • A l’inverse, le samaritain qui est beaucoup plus libre vis-à-vis de la loi, lui va rendre gloire à Dieu et pour cela va se prosterner aux pieds de Jésus …
  • Cela signifie tout simplement qu’il reconnaît que Jésus est Dieu. Il croit que Dieu est là. Il rend gloire à Dieu en se prosternant aux pieds de Jésus :il confesse sa foi en l’incarnation, en la divinité de Jésus. Comme les bergers qui rendent gloire à Dieu car un petit enfant est né au milieu d’eux ou comme le centurion qui s’écrie devant Jésus en croix : vraiment celui-ci est le fils de Dieu …
  • Et cette confession de foi, comme il y a en a tant d’autres dans l’Evangile suscite toujours l’admiration de Jésus.

Qu’est-ce que cela change pour nous ?

  • Cela dit ce qu’est l’action de grâce, véritablement.
  • L’action de grâce c’est de se rendre tout entier à Dieu par Jésus.
  • Vous me direz : qu’est-ce que cela change de rendre grâce à Dieu par Jésus, par lui, avec lui et en lui ?
  • Cela signifie que rendre grâce ce n’est pas rendre quelque chose, dire seulement merci pour une grâce reçue, pour une guérison. C’est s’offrir tout entier, c’est répondre au don de notre vie en étant entraîné par une personne, le Christ, c’est accepter de se lier avec sa chair, avec toute sa vie, à celui qui s’est fait chair. Ce n’est pas être guéri pour soi, c’est être sauvé pour être avec Dieu, c’est-à-dire passer dans le royaume de la lumière ; en sommes c’est être baptisé
  • C’est exactement le mouvement de l’Eucharistie où le Christ vient nous rejoindre et nous saisir lui qui s’est fait chair, se lier à nous, pour nous offrir avec lui au Père.
  • Rendre grâce c’est reconnaître que tout est grâce en notre vie et que tout appartient à Dieu ; c’est répondre au don reçu en consacrant notre vie à Celui qui nous aime et se livre pour nous ; c’est livrer jusqu’à notre corps à Celui qui nous donne son corps.
  • Le don reçu suscite en nous non pas simplement un « merci » mais le désir fou de suivre le donateur qui heureusement, par grâce encore vient nous entraîner à sa suite. Le don révèle le donateur.
  • C’est cela la nouveauté de l’action de grâce par lui, avec lui, en lui pour être à sa suite …
  • Rendre grâce, c’est croire au mystère de la Providence : c’est-à-dire croire que tout dans notre vie est rejoint, accompagné par Dieu ; que rien ne lui est étranger. Et donc rendre grâce pour cette Providence.
  • Je vous lis un extrait d’une prière du Bienheureux Frédéric Ozanam pour illustrer cela
  • Ozanam  est gravement malade, il sent la mort s’approcher ; il a tout juste 40 ans, après une vie extraordinairement dense et féconde :

« Je viens Seigneur, si vous m’appelez et je n’ai pas le droit de me plaindre. Vous m’avez donné quarante ans de vie. Que les miens ne se scandalisent point, si vous ne voulez pas faire aujourd’hui un miracle pour me guérir ! A l’entrée de ma carrière, quand j’ai été arrêté tout à coup par une maladie de la gorge, ne m’avez-vous pas guéri, ne m’avez-vous pas donné la joie de publier ce que je croyais la vérité ? Enfin, il y a cinq ans, ne m’avez-vous pas ramené de bien loin, et ne m’avez-vous pas accordé ce délai pour faire pénitence de mes péchés et pour devenir meilleur ? Ah ! toutes les prières qu’alors on vous adressa pour moi furent écoutées. Pourquoi celles qu’on vous fait aujourd’hui seraient-elles perdues ? Mais peut-être, Seigneur, vous les exaucerez d’une autre manière. Vous me donnerez le courage, la résignation, la paix de l’âme et ces consolations inexprimables qui accompagnent votre présence réelle. Vous me ferez trouver dans la maladie une source de mérites et de bénédictions, vous les ferez retomber sur ma femme, mon enfant, sur tous les miens, à qui mes travaux auraient peut-être moins servi que mes souffrances. »
Toute sa vie, il n’avait cessé de proclamer sa foi en la divine Providence : « Allons simplement où la miséricordieuse Providence nous conduit, contents de voir la pierre où nous devons poser le pied, sans vouloir découvrir toute la suite et toutes les sinuosités du chemin. »

 

  • Chers frères et sœurs voilà où ce samaritain guéri et venant rendre grâce nous conduit : d’un simple « merci » toujours précieux à une prière de louange qui doit « gagner sa place » en nos vies nous sommes conduits par le Christ à rendre grâce à Dieu pour toute notre vie où s’exerce sa Providence et par là-même à lui offrir toute notre vie pour le suivre, lui, tel qu’il le veut …
  • C’est exactement ce que nous chanterons de manière solennelle en ce jour à la fin de la prière eucharistique (prière d’action de grâce) : « Par Lui, avec Lui et en Lui, à toi Dieu le Père tout-puissant dans l’unité du Saint-Esprit tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles. » Amen ! Et ainsi nous confesserons notre foi !